Paysage aux prodiges, André Masson |
"Pour se rendre compte objectivement de l’effarante multitude de prodiges que constitue le vivant, il convient de l’examiner avec une attention et une réflexion débarrassées de l’accoutumance.
Que Lazare sorte de son tombeau, c’est un miracle. Mais si tous les morts se mettent à en faire autant, notre étonnement va disparaître très vite et l’habitude nous fera considérer la résurrection comme un phénomène naturel dont nous allons nous attacher à connaître les particularités constantes, pour les nommer lois…
Nous sommes entourés de miracles auxquels nous sommes habitués. Nous vivons par miracles, tout le vivant est miraculeux dans ses moindres détails, mais nous sommes si accoutumés au merveilleux quotidien qu’il a perdu tout pouvoir de nous émerveiller.
Qu’y a-t-il, par exemple, qui nous paraisse plus ordinaire que les oreilles ? Deux pavillons biscornus un peu ridicules prolongés par deux trous dans la tête. Emergées de l’utérus maternel en parfait état de fonctionnement, elles se sont mises aussitôt à nous servir sans le moindre apprentissage de notre part. Elles captent les vibrations du monde extérieur et les transforment pour nous en un monde sonore, sans que nous ayons à y faire le moindre effort. Nous n’avons pas besoin d’écouter pour entendre. Qu’un rossignol trémolise pour sa belle et que les vibrations de l’air modulé par sa gorge résonnent dans notre cerveau, nous n’irons tout de même pas nous en étonner ? C’est tout naturel.
Naturel. Oui. Naturel.
Le naturel est miraculeux."
René Barjavel, La Faim du tigre, Folio
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