4e de couverture :
Qu'y a-t-il dans le fond de la jarre ? C'est le mystère des vieux pots, ou plutôt du flacon magique : on ne sait ce qu'il contient mais on l'ouvre avec un frisson délicieux. Et qu'en sort-il ? Une vraie cour des miracles, avec ses personnages extravagants, doux marginaux ou folles de Dieu au verbe acéré. Une curieuse nuit de noces, où l'on ne brandit pas le seroual taché de sang. Un oncle fugueur amateur de kif, se transformant la nuit en un auguste Homère. Un pique-nique initiatique où un enfant fait d'un radis une madeleine. Et l'âme d'une ville, ou ses tripes. Fès, en l'occurrence, mais le Fès d'un Maroc disparu, sur fond de protectorat français et de lutte pour l'indépendance.
Au centre de ce théâtre à ciel ouvert, l'enfant, pris dans une tourmente de découvertes ébouriffantes et de déconvenues cuisantes. En ombre tutélaire, Ghita, la mère, jamais à court d'imprécations et de reparties truculentes, une tendre furie, féministe avant l'heure.
Fiction ou autobiographie ? Ce récit brosse un tableau surprenant d'une ville et d'une époque.
Avis personnel :
Ce livre nous fait pénétrer au cœur de la société marocaine à travers le récit que nous fait Abdellatif Laâbi de son enfance au cœur de la médina de Fès. Nous suivons l’enfant dans le souk où son père travaille en tant que sellier. Nous parcourons la médina avec lui et rencontrons toute une galerie de personnages pittoresque et bizarres qui par leurs comportements étranges enflamment l'imagination de l'enfant. Nous partageons le quotidien de la famille à travers l’évocation de Ghita, la mère, personnage central et haut en couleur du livre aux réparties cinglantes et au féminisme avant l'heure. Nous partons pour une virée à la campagne à l’occasion d’une nzaha, ces parties de campagnes qu’affectionnent les Fezzan, au printemps, lorsque la nature se pare de ses plus beaux atours.
"Le fond de la jarre", c’est aussi la découverte émerveillé par notre jeune héros du monde des salles obscures, de l’école française ainsi que celui, plus intime, des femmes qu’il observe du haut de sa terrasse lorsque celles-ci, enfin dévoilées ou en habits d’intérieur, y montent pour se livrer aux tâches domestiques ou se détendre entre amies et voisines autour d’un verre de thé.
Ce que le lecteur pourra en particulier découvrir grâce à ce livre, c’est la variété et la finesse de la cuisine marocaine qui pour le public européen se limite souvent au couscous. C’est l’eau à la bouche que l’on lit ces savoureuses descriptions qui nous montrent Ghita s’activant dans la cuisine pour la préparation d’un plat typique aux ingrédients multiples et parfumés. Ce livre est un hymne à Fès et à tout un art de vivre qui était propre à cette ville durant toute la première moitié du XXe siècle. C’est ainsi que l’on imagine cette brillante civilisation arabo-andalouse, mêlant joie de vivre et amour de la poésie, qui fleurit au Moyen-âge en Espagne et dont Fès fut l’héritière culturelle lorsque les réfugiés musulmans fuyant la Reconquista s’y établirent à partir du XVe siècle.
Pour terminer, et là, au risque de heurter Abdellatif Laâbi, je ferai un parallèle entre son livre et celui paru en 1954 d'Ahmed Sefrioui, « La boîte à merveille ». Il y a de nombreuses ressemblances entre les deux livres. Les deux évoquent une enfance douce et heureuse dans une Fès d’avant-guerre où il faisait bon vivre. Le roman de Sefrioui fut publié la même année que « Le passé simple » de Driss Chraibi. Alors que ce dernier fut encensé par la nouvelle génération d’écrivains marocains, notamment par Laâbi dans sa revue « Souffles », « La boîte à merveilles » fut voué aux gémonies par eux qui accusèrent Séfrioui d’avoir écrit un livre de clichés exotiques (hammam, marabouts…) destiné à divertir les colonisateurs. Les attaques d’Abdellatif Laâbi s’inscrivaient dans le contexte d’un pays encore colonisé et luttant pour son indépendance et on peut comprendre qu’il ait vu dans « La boîte à merveilles » un livre apportant de l’eau aux moulins des colonisateurs. Je serai curieux de savoir si Abdellatif Laâbi porte aujourd'hui le même regard qu'auparavant sur le livre d'Ahmed Sefrioui.
Personnellement, je trouve « Le fond de la jarre » beaucoup plus proche, voire même très proche, de « La boîte à merveilles » que du « Passé simple » de Driss Chraïbi. Et je dois également avouer que j’ai éprouvé beaucoup plus de plaisir à lire "Le fond de la jarre" et "La boîte à merveilles" que "Le Passé Simple" en dépit de tout l'estime que j'ai pour ce dernier livre. Pour moi, ces trois livres sont des regards complémentaires portés par des écrivains talentueux sur leur pays et ils nous révèlent chacun une des multiples facettes de la société marocaine.
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