Sindbad PUZZLE

Retrouvez des chefs-d'oeuvre de la miniature persane et indienne en PUZZLES sur le site : http://www.sindbad-puzzle.com/

dimanche 2 juin 2013

dimanche 24 mars 2013

Enfants, l'amour va vous blesser...


Deux amoureux, Hérat, XVe siècle, Met Museum

"Enfants, l'amour va vous blesser... Songez pourtant que ceux qui n'ont pas connu votre souffrance sont encore plus à plaindre que vous..." 

Source : Les jardins du Désir, Sicre et Kevorkian, Phébus

dimanche 17 mars 2013

Saadi : Dialogue du papillon et de la bougie

Deux amoureux dans un jardin


Une nuit que le sommeil me fuyait, j'entendis le papillon dire à la bougie: "J'aime, il est donc naturel que je me consume, mais toi, pourquoi répands-tu ces larmes brûlantes ? - Amant infortuné, répondit la bougie, on m'a séparée du miel, mon compagnon chéri et depuis que ce doux ami est loin de moi, je brûle comme Ferhâd dans le feu de mes regrets." Ainsi parlait la bougie et, laissant couler des larmes ardentes sur son pâle visage, elle ajouta : "Imposteur, l'amour n'est pas fait pour toi qui n'as ni la résignation ni la persévérance. Au premier contact de ma flamme tu t'envoles, mais moi je reste et me consume entièrement. Le feu de l'amour effleure à peine ton aile ; vois comme il me dévore et m'anéantit. Fais attention, non pas à la clarté que je répands autour de moi, mais à mon ardeur, à mes larmes brûlantes : tel est aussi Saadi, les sourire est sur ses lèvres, mais un feu intérieur le consume. " - La première veillée de la nuit ne s'était pas écoulée qu'une belle jeune fille au visage de péri vint éteindre la bougie. Celle-ci répandant autour d'elle une noire fumée, ajouta : "Ami, c'est ainsi que finit l'amour. Si tu es au nombre de ses disciples, apprends que la mort seule en éteint la flamme, mais ne pleure pas sur la tombe des victimes qu'il fait et dis : Gloire à Dieu, ceux-là étaient des élus !" "- Si tu aimes avec sincérité, ne redoute pas les souffrances de l'amour et romps, comme Saadi, avec toutes les inclinations mondaines ; le fida'ï dévoué accomplit sa mission malgré la grêle des traits qui pleuvent autour de lui. - Je te le dis, ami, ne t'aventure pas sur cette mer sans rivages, mais si tu y vas, plonge résolument au fond de ses abîmes."

Source : Saadi, Boustan (ou Le Verger), Seghers

jeudi 28 février 2013

Paul Valéry : un mot excellent du Sultan


Le Sultan Abdul Hamid

"Combien mûrs et beaux les vers de nos grands poètes !"

Sultan Abdul Hamid.

Ce mûrs est d'un connaisseur, mot excellent.

Paul Valery, Tel Quel II, Gallimard

mercredi 27 février 2013

Washington Irving : L'Alhambra au clair de lune



J'ai donné une image de mon appartement tel qu'il était lorsque j'en pris d'abord possession ; il a suffi de quelques soirs pour modifier complètement le tableau de mes impressions. La lune, qui était alors invisible, a gagné peu à peu sur la nuit. La voici qui roule de toute sa splendeur au-dessus des tours, inondant de sa tendre clarté les salles et les cours. Sous ma fenêtre, le jardin est doucement illuminé ; les orangers et les citronniers sont pailletés d'argent ; et la fontaine étincelle dans le clair de lune où l'on perçoit même la rougeur de la rose.
J'ai passé des heures à ma fenêtre à respirer l'air embaumé du jardin et à rêver aux fortunes diverses de ceux dont ces élégants vestiges rappellent l'histoire. Parfois à minuit, lorsque tout repose, je descends errer à travers le palais. Qui pourrait dire la beauté d'un clair de lune sous ce climat et dans un tel lieu ? La température d'un minuit d'été andalou est purement céleste. On se sent comme transporté dans une atmosphère supérieure ; on éprouve une sérénité d'âme, une légèreté d'esprit, un bien-être physique qui font du seul fait de vivre un délice. L'effet du clair de lune sur l'Alhambra a également quelque chose de magique : les fentes et les crevasses, les moindres taches de rouille disparaissent alors ; le marbre reprend sa blancheur primitive ; les longues colonnades paraissent s'éclaircir ; les salles s'illuminent d'un rayonnement diaphane... On se croirait dans un palais enchanté des Mille et une Nuits.
J'aimais alors monter au petit pavillon qu'on appelle le Boudoir de la Reine pour jouir de la vue étendue et diverse qu'on y a. A droite, les cimes neigeuse de la Sierra Nevada brillaient comme des nuages d'argent dans le firmament foncé ; les contours de la montagne se dessinaient en lignes pures, bien qu'adoucies. Mais mon plus grand plaisir était de m'accouder au parapet du tocador et de contempler Grenade étendue à mes pieds comme un plan, ensevelie dans un profond repos avec ses palais et ses couvents endormis, pour ainsi dire, au clair de lune.
Parfois j'entendais les faibles roulades d'une castagnette : c'était un groupe de danseurs qui s'attardait dans l'Alameda ; parfois encore c'étaient les notes hésitantes d'une guitare ; puis, une voix nue s'élevait d'une rue solitaire: je me représentais quelque jeune cavalier faisant une sérénade à la fenêtre d'une belle, coutume charmante d'autrefois, qui est en train de se perdre malheureusement, sauf dans les petites villes et les villages écartés d'Espagne. Telles étaient les scènes qui me retenaient des heures durant, au cours de mes promenades parmi les patios et les balcons du château, où j'éprouvais un mélange délicieux de rêverie et d'impressions qui, dans le sud, supprime la sensation du temps. Il faisait presque jour lorsque je regagnais mon lit où je m'endormais au son berceur du jet d'eau de Lindaraja.

Source : Washington Irving, Contes de l'Alhambra, Editions Miguel Sanchez

Alhambra, vers 1890

samedi 23 février 2013

Edward Hopper : le principe fondateur de la peinture

Edward Hopper, Road in Maine, 1914


Edward Hopper déclarait en 1964, dans une interview sur NBC : « Je sais bien que des peintres contemporains vont manifester le plus grand mépris pour cette citation. Mais je la lirai quand même. Goethe a dit : « La fin première et dernière de toute activité littéraire, c’est la reproduction du monde qui m’entoure via le monde qui est en moi ; toute chose devant être saisie, reprise et recrée, assimilée et reconstruite sous une forme personnelle et originale ». Pour moi, c’est le principe fondateur de la peinture. Et, je sais qu’il existe mille opinions différentes sur la peinture et que beaucoup objecteront que c’est dépassé et désuet. Mais, pour moi, c’est une vérité première. »

jeudi 21 février 2013

Emily Dickinson : Loin de l'Amour le Père Céleste


George Innes, Sunrise, 1887, MET Museum


Far from Love the Heavenly Father
Leads the Chosen Child,
Oftener through Realm of Briar
Than the Meadow mild.

Oftener by the Claw of Dragon
Than the Hand of Friend
Guides the Little One predestined
To the Native Land.

Essai de traduction :

Loin de l'amour le Père Céleste
Mène l'Enfant Elu,
Plus souvent par le Royaume des Ronces
Que par de douces Vallées.

Plus souvent par la Mâchoire du Dragon
Que par la Main d'un Ami
Il Guide le Petit prédestiné
Jusqu'à sa Terre Natale

dimanche 17 février 2013

Rûmî : "Où se trouve la peine, existe un moyen d'y remédier"

Le bâton de Moïse devient un dragon

Dieu dit : "O Moïse ! Que tiens-tu dans ta main ?"
Il répondit : "C'est mon bâton pour le chemin."
Dieu dit : "Jette le bâton de ta main
Puis contemple les prodiges du ciel".
Il le jeta, et le bâton devint un dragon.
Quand il vit le dragon, Moïse prit la fuite.
Dieu dit : "Prends-le, afin que Moi, de nouveau,
Je le transforme pour toi en un bâton.
Je ferai de ton ennemi une main tendue par amitié,
Je métamorphoserai ton ennemi en appui,
Afin que tu saches que c'est seulement par Ma grâce
Qu'existent les amis pleins de charme et de fidélité.
Ta main et ton pied deviendraient pour toi comme un serpent,
Si j'y mettais la souffrance.
O main, ne saisis que Nous-même.
O pied, ne recherche que le But.
Ne fuis pas Notre peine, car partout
Où se trouve la peine, existe un moyen d'y remédier".

Rûmï, Odes mystiques, Editions Klincksieck

mardi 12 février 2013

Gauguin : La Femme à la Fleur

La Femme à la Fleur


"Mais laissons-lui [Gauguin] le soin de décrire, à propos d'un de ses tout premiers tableaux, la rencontre du peintre et de sa première Tahitienne :
"Pour bien m'initier à ce caractère d'un visage tahitien,à tout ce charme d'un sourire maorie, je désirais depuis longtemps faire un portrait d'une voisine de vraie race tahitienne. Je le demandais un jour qu'elle s'était enhardie à venir regarder dans ma case des images photographiques de tableaux [...] j'essayais d'esquisser quelque-uns de ses traits, ce sourire surtout si énigmatique. Je lui demandais à faire son portrait. Elle fit une moue désagréable. [...] puis elle se sauva. [...] Une heure après, elle revint dans une belle robe. Etait-ce une lutte intérieure, ou le caprice (très maorie) ou bien encore un mouvement de coquetterie qui ne veut se livrer qu'après résistance ? J'eus conscience que dans mon examen de peinture, il y avait comme une demande tacite de se livrer, se livrer pour toujours sans pouvoir se reprendre, une fouille perspicace de ce qui était au-dedans. Peu jolie, en somme, comme règle européenne : belle pourtant, tous ses traits avaient une harmonie raphaélique, dans la rencontre des courbes, la bouche modelée par un sculpteur parlant toutes les langues du langage et du baiser, de la joie et de la souffrance : cette mélancolie de l'amertume mêlée au plaisir, de la passivité résidant dans la domination. Toute une peur de l'inconnu.
"Je travaillais vite, avec passion. Ce fut un portrait ressemblant à ce que mes yeux voilés par mon coeur ont aperçu. Je crois surtout qu'il fut ressemblant à l'intérieur. Ce feu robuste d'une force contenue. Elle avait une fleur à l'oreille qu'écoutait son parfum. Et son front, dans sa majesté, par des lignes surélevées, rappelait cette phrase de Poe : "Il n'y a pas de beauté parfaite sans une certaine singularité dans les proportions." Le tableau qui fut le fruit de cette visite est, après une esquisse où le modèle porte la fleur à l'oreille, la belle Vahiné no te tiare (La Femme à la Fleur) du musée de Copenhague."

Source : Françoise Cachin, Gauguin, Le Livre de Poche

dimanche 10 février 2013

La grâce féminine du Taj Mahal

Taj Mahal, Vasili Vereshchagin

"Mais la configuration générale du Tâj, comme son apparence extérieure, n'ont pas été exemptes de critiques. Certains spécialistes pensent qu'ils souffre des faiblesses inhérentes à son époque : un manque de hardiesse et de puissance architecturales. A la différence du mausolée d'Humayun ou de la Buland Darwaza, le raffinement serait ici plus remarquable que l'ampleur ou la structure de l'édifice. Il enchante, il ne subjugue pas. Il n'y a ni recherche intellectuelle dans l'esthétique, ni originalité dans la forme. La décoration excessive caractériserait la dégénérescence de l'art moghol et le Tâj ne constituerait nullement un temps fort de l'architecture, symétrie et pureté des lignes n'indiquant rien d'autre qu'une rigidité dogmatique. Ainsi l'oeuvre serait dénué d'imagination selon les uns, et selon les autres brillerait d'un éclat superficiel. Le pittoresque de sa disposition, son apparence éthérée, ses formes délicates, sa décoration raffinée, aux contours subtils, contribueraient aussi à en faire un spécimen "efféminé" d'architecture. En revanche, certains prétendent que l'effet était voulu. E. B. Havell, par exemple, le regarde comme un hommage délibéré rendu à la "Dame du Tâj". Selon lui, "Le Tâj était sensé être féminin. Toute sa conception, chaque ligne, chaque détail expriment l'intention des architectes. Il est Mumtâz elle-même, radieuse dans sa beauté juvénile... ou plutôt, il communique une pensée plus abstraite, il est l'hommage de l'Inde rendu à la grâce de la féminité indienne, la Vénus de Milo de l'Orient".

Source : Taj Mahal, Amina Okada, Imprimerie Nationale

mercredi 6 février 2013

Sahid Sitki Taranci : Prière

Kebadjian, Fantômes minarets


Sahid Sitki Taranci est né à Dijarbakir en 1910. Il fit ses études au lycée de Galatasaray, établissement au long passé, où la moitié de l'enseignement se faisait en langue française.
Il a profondément subi l'influence de Baudelaire et des symbolistes. Sa langue est claire, son style simple, d'une simplicité qui va jusqu'au dénuement.
Il a publié deux recueils : Sérénité et A trente-cinq ans.

Prière

Mon Dieu, je connais mes fautes,
Et je m'égare à chaque pas,
Ma main se tend vers le pommier :
J'ai pour ancêtre Adam et Eve.

Ce n'est donc pas une ou deux fois
Que j'ai péché, mais sans arrêt.
Et tu sais bien, Seigneur, que toi,
Toi seul m'es proche à moi pécheur.

Mon Dieu, ne vois-tu pas mes larmes ?
C'est que je ne sais pas mentir :
Mon coeur est au grand soleil,
Et mes remords me sont enfer.

Je ne suis étoile dans la nuit,
Ni papillon dans la lumière:
C'est toi seul Seigneur qu'il me faut,
Toi aussi vrai que mes péchés.

Il faut bien qu'à toi je me plaigne,
Car nul autre n'entend ma peine :
De ces visages noyés je ne sais,
S'ils me sont amis ou ennemis.

La mer hélas est infinie,
Le flot furieux, l'esquif troué,
Oh ces montagnes et ces brumes
Où le cerf même perd son chemin !

Mes jours sans cesse sont troublés,
Mes nuit sont pires, déserts arides :
Et chaque étoile qui tombe hélas,
Se détache de ma poitrine.

Inguérissable est ma blessure,
Mes ailes à jamais brisées,
Ma jeunesse s'en est allée,
Quand je l'ai su, c'était trop tard.

Il n'est d'autre bonheur que toi,
Tout ne vit que par ton vouloir,
O mon Dieu, délivre-moi
Des ténèbres qui m'environnent.

Source : Anthologie de la poésie turque, Connaissance de l'Orient, Gallimard

Anecdotes sur Rabia




"Elle naquit à Basra. Sofyan Thawri la visitait, la questionnait et montrait du goût pour ses admonitions et ses invocations. Un jour il entra chez elle et dit en élevant la main : "Mon Dieu ! je te demande le bien-être !" Elle se mit à pleurer. "Qu'est-ce qui te fait pleurer ?" demanda-t-il. "C'est toi qui me fais pleurer. - Comment donc ? - Ne sais-tu pas que le bien-être en ce bas-monde consiste à y renoncer alors que tu en es tout souillé ? Elle a dit aussi : "Toute chose recèle un avantage : celui de la gnose est qu'on se tourne sans cesse vers le Très-Haut." Et encore :"Qu'Allah me pardonne mon peu de sincérité quand je lui demande de me pardonner." Soyfan lui demanda : "Quelle est la meilleure chose au moyen de laquelle l'esclave d'Allah peut s'approcher de lui ?"- C'est ceci : qu'Allah sache bien qu'en ce monde et dans l'autre, l'esclave n'aimera que lui." Un jour Sofyan dit devant elle : "O tristesse !" Elle répondit : "Ne mens pas ! Si tu étais vraiment affligé, la vie n'aurait plus de saveur pour toi." Elle a dit d'autre part : "Mon chagrin vient non pas de ce que je suis affligée mais à ce que je ne le suis pas réellement."

Source : Extrait du Nafahât al-uns de Djami in Anthologie persane, Henri Massé, Payon

mardi 29 janvier 2013

Sisley : Chemin montant au soleil

Chemin montant au soleil, A. Sisley, 1893


Le sentier qui monte et se perd à l’horizon est un thème récurrent dans l’œuvre de Sisley, mais jamais encore il n’avait revêtu l’importance que lui donne le Chemin montant au soleil. C’est probablement dans la tradition hollandaise du XVIIe siècle, chez Hobbema en particulier, qu’il faut en chercher la source. La route qui relie le premier plan au lointain, ménage une percée spectaculaire au centre de la toile et induit une vision allant au-delà du visible.
La structure de l’espace, toujours primordiale chez Sisley, représente ici une véritable prouesse, car le fort escarpement du coteau sur la droite et la montée abrupte du raidillon sont restitués sans le concours de la moindre verticale. Seules des formes arrondies, la meule sur le talus de gauche, les bouquets d’arbres vers le fond du vallon et les deux belles frondaisons centrales suggèrent les différences de niveaux. L’étagement des plans est rendu de façon très rigoureuse par la succession des ombres, d’un arbre invisible, des petits personnages, du clocher au fond. Ce procédé, Sisley l’applique également au ciel : « Le ciel a des plans comme les terrains » écrit-il. Les nuages blancs prestement enlevés sur le bleu intense du ciel, auquel répondent les accords orangés et ocre de la végétation, assoupis par le plein soleil de l’après-midi, impriment à l’œuvre une cadence qui lui confère cette sorte de silence méditatif propre aux meilleures œuvres de Sisley.

Source : Musée des Beaux-Arts de Rouen

lundi 28 janvier 2013

Les roses de Saadi

Œuvre de Mahmoud Farshian



Les roses de Saadi

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.

Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859)

Mother India

Mother India, MF Husain



"[...] car c'était l'Inde Mère elle-même, l'Inde Mère avec son faste criard et son mouvement inépuisable, l'Inde Mère qui aimait, trahissait, mangeait et dévorait ses enfants puis qui les aimait de nouveau, ses enfants dont les relations passionnées et les querelles sans fin allaient bien au-delà de la mort; elles s'étendaient dans les immenses montagnes comme des exclamations de l'âme, et le long des larges fleuves charriant miséricorde et maladie, et sur les plateaux arides ravagés par la sécheresse sur lesquels des hommes entamaient la terre stérile à la pioche; l'Inde Mère avec ses océans, ses palmiers, ses rizières, ses buffles aux trous d'eau, ses grues aux cous comme des portemanteaux perchées sur la cime des arbres, et des cerfs-volants tournant hauts dans le ciel, et les mainates imitateurs, la brutalité des corbeaux au bec jaune, une Inde Mère protéenne qui pouvait devenir monstrueuse, qui pouvait n'être qu'un ver sortant de la mer avec le visage d'Epiphania emmanché d'un long cou squameux; qui pouvait devenir meurtrière, qui dansait avec la langue de Kali et le regard qui louche pendant que mourraient les multitudes; mais au-dessus de tout, au centre exact du plafond, au point où convergeaient les lignes de toutes les cornes d'abondance, l'Inde Mère avec le visage de Belle." (Folio poche - p. 105)

Source : Salman Rushdie, Le dernier soupir du Maure, Folio

dimanche 27 janvier 2013

Adriaen Coorte : Groseilles à maquereau

Adriaen Coorte, Groseilles à maquereau, 1701

Peut-être, au bout du compte, le temps qui a rendu à l'anonymat cette peinture sur papier contrecollé sur un bois lui a-t-il donné le seul sens qui vaille ? La signature peinte sur l'épaisseur de la pierre sur laquelle est posée cette branche de groseilles à maquereau ne désigne plus personne. Adriaen Coorte est né vers..., est mort vers... Il a peint. Point. Inutile de chercher à savoir ce qu'il fut. De la même manière des monogrammes peints sur telle et telle toile de cette même époque ne désignent plus aucun nom. Seule demeure une énigme, seule demeure l'énigme qu'est l'oeuvre. Au moins l'anonymat de ces oeuvres épargnent ces commentaires imbéciles qui forgent d'une manière inconséquente des explications biographiques. 
Reste à regarder la pulpe sensuelle de ces groseilles qui ne sont pas si différentes des grenades et qui, comme elles, désignent l'immortalité. Ce qui n'exclut pas qu'elles mettent en évidence la fécondité de la Vierge comme la résurrection du Christ. Ce qui n'interdit pas d'y reconnaître la charité chrétienne offerte à tous les hommes. Ou peut-être la communion au sein de l'Eglise...

Source : Pascal Bonnafoux, Vies silencieuses. Natures mortes du siècle d'or hollandais, in Beaux-Arts, Juillet 1999

Jan Davidsz de Heem, Livres sur une table

Jan Davidsz de Heem, Livres sur une table, 1628



Sans doute la table sur laquelle ces livres ont été abandonnés est-elle dressée dans un cabinet. Qu'importe que l'on puisse ou que l'on ne puisse pas, ici ou là, lire les titres des volumes ouverts. Ces livres sont ce que l'homme sait ou croit savoir. Ils sont les signes de sa connaissance comme ils sont le signe de ses doutes, de ses angoisses peut-être. Et ces livres ouverts, ces livres lus et relus, ces livres annotés sans doute, murmurent ensemble la même phrase de l'Ecclésiaste : "Vanité des vanités, tout est vanité." Ou peut-être invitent-ils le lecteur à se ressouvenir encore et encore de l'Imitation de Jésus-Christ et à répéter : "Vanité de s'attacher à ce qui passe si vite et de ne pas se hâter vers la joint qui ne finit point." Ces livres abandonnés sont des vanités. Ils assènent tous la même certitude de l'Ecclésiaste (ch, 1, 8) : "L'oeil n'est pas rassasié de ce qu'il voit ni l'oreille remplie de ce qu'elle entend." Implacables, ils somment de ne pas oublier cet ordre de l'Imitation : "Vivez sur la terre comme un voyageur et un étranger à qui les choses du monde ne sont rien." Cette nature morte conduit à la méditation qui est celle de Faust selon Goethe : "Il me faudra peut-être lire ces milliers de volumes, pou y voir que les hommes se sont tourmentés sur tout."

Source : Pascal Bonnafoux, Vies silencieuses. Natures mortes du siècle d'or hollandais, in Beaux-Arts, Juillet 1999

Daniel Seghers : Vase de fleurs

Daniel Seghers, Vase de fleurs, vers 1635


Inconséquent méprise que de ne vouloir regarder dans un pareil bouquet que l'enchevêtrement baroque des formes, des couleurs et des matières.
Cette composition n'est pas que le froissement de satin ou de soie d'un pétale, que l'épaisseur charnue d'une feuille ou la transparence d'un verre.
Les tulipes sont un signe de la vanité de la collection, de la curiosité, comme les roses désignent l'amour miséricordieux de la Vierge. Et le bleuet ne peut qu'évoquer la double nature de l'incarnation du Christ pour le sacrifice et la rédemption. C'est le Christ, toujours, que désigne l'ancolie dont chacun des sept pétales s'accorde aux vertus théologales que sont la foi, l'espérance et la charité comme aux vertus cardinales que sont la prudence, la justice, la tempérance et la force. C'est la vertu encore que symbolisent le chardon et la châtaigne protégés l'un et l'autre par des piquants hérissés. Ailleurs, les cinq pétales de l'églantine comme les cinq pétales de la pensée parlent des cinq plaies du Christ. Et l'oeillet évoque encore la rédemption par la Passion du Christ. En revanche, il revient à la jacinthe et au narcisse d'évoquer la mort comme au pavot de désigner le sommeil éternel.

Source : Pascal Bonnafoux, Vies silencieuses. Natures mortes du siècle d'or hollandais, in Beaux-Arts, Juillet 1999