Sindbad PUZZLE

Retrouvez des chefs-d'oeuvre de la miniature persane et indienne en PUZZLES sur le site : http://www.sindbad-puzzle.com/

mercredi 29 décembre 2010

Dr Paul Carton : Le rôle capital de l'hygiène alimentaire



"Le régime alimentaire bien compris est la cause prédominante de la santé et le levier principal de la guérison, parce que le mode d'excitation et de nutrition le plus important s'effectue par les voies digestives.
L'erreur alimentaire est à la base de toutes les maladies. Les affections aiguës, en effet, sont toujours précédées d'une série de troubles digestifs prémonitoires (perte d'appétit, mal de tête, fermentations, aigreurs, nausées, vomissements, diarrhée, constipation, etc...) et les maladies chroniques apparaissent secondairement à des affections sérieuses des voies digestives (jaunisse, gastrite, entérite, appendicite, fièvre typhoïde). Enfin, de toutes les maladies, les plus fréquentes sont celles qui atteignent les organes de la digestion. Les cancers des voies digestives sont, entre autres, de beaucoup les plus nombreux.
Or, l'alimentation préconisée et suivie de nos jours constitue un défi au bon sens et une hérésie scientifique. En effet, la nourriture copieuse, trop carnée, trop concentrée, que tout le monde recherche par préjugé ou par ordonnance, est la source la plus considérable des maladies arthritiques et infectieuses, parce que la suralimentation et les aliments trop forts épuisent les forces vitales en les surexcitant à l'excès, brûlent les voies digestives et les émonctoires par le travail de combustion démesuré qu'ils exigent, salissent les humeurs et, enfin, empoisonnent par les déchets toxiques, auxquels ils donnent naissance. Certes, sur le moment, le régime dit "fortifiant" fait trépider les nerfs et les muscles, pousse à la graisse, congestionne le visage et confère les apparences de la santé ; mais, les forces ainsi gaspillées, les tissus rouillés par la graisse, le système cardio-vasculaire distendu par la pléthore produisent, une fois la phase de tolérance dépassée, des encrassements organiques, des scléroses multiples et des ruptures vasculaires, en un mot, du vieillissement prématuré de l'organisme. En matière de régime, comme en toute chose d'ailleurs, c'est donc faire preuve d'un aveuglement extrême que de considérer seulement le résultant immédiat et momentané, sans jamais examiner les déterminations tardives. C'est pourquoi on ne saurait trop répéter que : plus on mange, moins on a de forces ; plus on mange, plus on s'use et plus on s'empoisonne."

Paul Carton, Le Décalogue de la Santé, Librairie Le François, 1941

Barjavel : Hommage au Dr Paul Carton (2)

Dr Paul Carton, La cuisine simple, Librairie Le François

"J'ai raconté dans le Journal d'un homme simple, comment, en suivant les prescriptions de bon sens de la médecine cartonienne, je m'étais guéri tout seul, sans un milligramme de médicaments, en quelques mois, d'une grave attaque de tuberculose, alors maladie mortelle. Je savais pourquoi j'étais malade, j'ai supprimé les causes, la maladie s'est évaporée.
La médecine d'aujourd'hui sait de mieux en mieux combattre les maladies, mais plus du tout comment empêcher les bien-portants de devenir malades. Il lui faudra beaucoup oublier et beaucoup réapprendre pour devenir la médecine de demain, celle que nous espérons. Ce devrait être une harmonieuses synthèse des principes de la médecine hippocratique-cartonienne, et des moyens efficaces de la médecine moderne."

René Bajavel, Demain le paradis, Denoël, p. 35

Barjavel : Hommage au Dr Paul Carton (1)

Dr Paul Carton (1875-1947)

"Je l'ai [Dr Paul Carton] rencontré, une fois. Jeune père, je ne comprenais pas pourquoi mes deux enfants (dix-huit mois et six mois) ne sortaient d'une otite que pour entrer dans une rhinopharyngite ou vice versa. Ils étaient surveillés par un excellent pédiatre dont nous suivions méticuleusement les conseils alimentaires. Et ils continuaient d'être malades et de souffrir. C'est à cette époque que je perdis le sommeil. Je guettais dans la nuit le premier pleur de ma fille ou de mon fils. Je sautais aussitôt hors du lit pour prendre mon bébé dans les bras, le bercer, lui parler doucement, essayer de le calmer et de le distraire de son mal. Il continuait de pleurer en frottant son oreille de son petit poing fermé. La souffrance d'un enfant est horrible. Il ne sait pas, il ne comprend pas, il subit cette chose atroce qui s'est installée en lui et le déchire, et les parents ne peuvent rien faire pour le soulager. J'aurais voulu prendre son mal, souffrir de la tête aux pieds pourvu qu'il fût délivré. Mais ce genre de substitution ne fonctionne pas. C'est dommage.
Ma femme me relayait jusqu'à ce que, épuisés tous les trois, nous sombrions dans le sommeil. D'où nous tirait une nouvelle morsure de la bête tapie dans la petite tête, et le cri stupéfait de sa victime...
Au matin, le pédiatre alerté accourait et perçait le tympan. Tout le monde était enfin soulagé ! Le petit malade retrouvait le sourire. Ses parents aussi. Trois jours après, c'était l'autre oreille...
Un ami me conseilla de consulter le Dr Carton. Il habitait Brévannes et recevait peu de clientèle. Je lui écrivis pour lui demander rendez-vous. Il me répondit de lui envoyer d'abord la liste minutieuse de toutes les nourritures et boissons avalées par nos enfants pendant une semaine. Ce que nous fîmes. Puis nous lui conduisîmes les bébés.
C'était un homme d'aspect sévère, pourvu d'une longue barbe blanche. Il nous reçut dans son bureau un peu sombre, nous fit asseoir, prit sur la table une feuille de papier sur laquelle je reconnus mon écriture - c'était ma "liste alimentaire !" - , l'agita vers nous, et prononça ces mots que je n'oublierai jamais :
- Vous êtes des assassins !
C'était excessif, mais exact. Nous étions en train, en suivant les conseils de la pédiatre moderne, non pas de tuer nos enfants qui avaient une solide résistance, mais de les torturer, en croyant agir pour leur bien.
Il nous garda plus d'une heure, pour nous expliquer l'évidence, nous conseilla de lire deux de ses livres, nous dit le prix de sa consultation, qui était élevé, et s'en excusa en précisant qu'il prenait cher parce qu'il ne revoyait plus ses clients...
- Vous n'aurez plus besoin de me consulter.
C'était vrai. Nous suivîmes ses prescriptions, qui ne comportaient aucun médicament, et nos enfants ne furent plus jamais malades. Nous les avions tout simplement remis à un régime naturel et de bon sens.
C'était à la fin des années 30. Il était de mode, alors, d'administrer trop tôt aux bébés des nourritures trop riches. Leur organisme ne pouvait pas les assimiler, accumulait les toxines, et s'en débarrasser au moyen de maladies qui étaient des crises de "nettoyage". Je crains que cette mode ne continue, quand j'entends, l'hiver, des jeunes mères parler d'otites...[...]
Carton a réinventé la nourriture et la médecine naturelles. Il les avait baptisées "naturistes". Il a rejeté ce mot avec horreur quand le naturisme est devenu synonyme de nudisme! Pendant qu'il se battait contre les laboratoires pharmaceutiques, contre les industriels du sucre et des bonbons, contre les pontes de la médecine classique, des hommes astucieux commençaient déjà à le piller, de son vivant.
Dans son livre essentiel, La Cuisine simple, il n'est pas un seul menu qui ne comporte une salade de légumes crus. C'était avant l'invention industrielle des "vitamines". Un de ses élèves est devenu milliardaire et célèbre en fabriquant des produits dits "diététiques" qui se vendent dans le monde entier. Il n'a jamais cité le nom de son maître. Tous les "diététiciens" et les "nutritionnistes" - quels mots horribles! - l'ont piraté, lui prenant quelques miettes de vérité qu'ils ont mélangées à des montagnes d'erreur pour les commercialiser.
Les innombrables boutiques qui vendent aujourd'hui des produits dits "naturels" ou "de régime" ont germé sur le cartonisme, se nourrissant de lui sans même le connaître.
Carton est mort pauvre, toujours furieux, toujours combattant. Il avait fait une chute de six mètres alors qu'il cueillait des cerises. Côtes brisées, décalcifié, colonne vertébrale tordue, il s'enferma dans un corset aux baleines de fer, pour pouvoir continuer à recevoir un client par jour, et rester utile jusqu'à sa fin."

René Barjavel, Demain le paradis, Denoël, pp. 31-3

mardi 28 décembre 2010

Bertrand Russell : Intelligence in the Gospels


"As far as I know, there is not one word in the Gospels in praise of intelligence".

Bertrand Russell, in "Has Religion made useful contributions to Civilization ?"

Marilyn Manson on Satanism


Marilyn Manson avec Anton Szandor LaVey, fondateur et grand prêtre de l'église de Satan

"The doctor was the preferred name of Anton Szandor LaVey, founder and high priest of the Church of Satan. What nearly everybody in my life had misunderstood about Satanism was that it is not about ritual sacrifices, digging up graves and worshipping the devil. The devil doesn't exist. Satanism is about worshipping yourself, because you are responsible for your own good and evil. Christianity's war against the devil was always been a fight against man's most natural instincts - for sex, for violence, for self-gratification - and a denial of man's membership in the animal kingdom. The idea of heaven is just Christianity's way of creating a hell on earth."

Marilyn Manson, The long hard road out of hell, Plexus, p. 164

lundi 27 décembre 2010

Marilyn Manson : "The long hard road out of hell"



Avis personnel :

Je ne suis pas un fan de Marilyn Manson. Ni du personnage, ni du groupe. A part deux ou trois chansons de ce groupe et le fait qu’il joue du Metal, je ne connais pas grand chose de lui. Je dois même dire que c’est un groupe que je n’apprécie guère même si je trouve leurs reprises de quelques tubes (Sweet Dreams, Tainted Love) superbes, surtout le clip vidéo de Sweet Dreams.
J’ai pris ce livre tenté par les critiques élogieuses des lecteurs et de la presse mais aussi parce que je voulais découvrir la vie de Marilyn Manson, son enfance, son adolescence, ses influences musicales, et voir comment il a construit son personnage. De plus, lire une autobiographie, c’est également pour moi un moyen de pénétrer dans une société et la voir vivre de l’intérieur. Les rock-stars sont généralement issues des classes moyennes ou défavorisées et en lisant leurs autobiographies, on entrevoit la vie quotidienne et les problématiques de cette classe moyenne qui constitue toujours la couche la plus large d'une société.
En regardant la couverture et en feuilletant le livre, on voit d’emblée l’ambition affichée par son auteur : se démarquer des autobiographies écrites par les autres rock-stars et faire de "The long hard road out of hell" une œuvre d’art révélant la singularité du personnage et son niveau d’ouverture intellectuelle et culturelle. Ainsi, la couverture est belle, le livre est magnifiquement illustré avec des photos provenant des archives personnelles de Marilyn Manson et de dessins originellement réalisés pour illustrer "La Divine Comédie : L'Enfer" de Dante. Chaque chapitre s’ouvre par des citations d’écrivains, d’artistes et de philosophes (Pierre Boaistuau, Bertrand Russell, Nietzsche, Frank Sinatra…) et les sous-parties sont séparées par des titres renvoyant à des descriptions de l’enfer tel qu’imaginé par Dante. La narration suit également un déroulement atypique alternant des évocations chronologiques avec des interviews et des éléments biographiques regroupés par thèmes (drogues, tournées...).
Les premiers chapitres évoquent l’enfance et l’adolescence de Brian Warner (Marilyn Manson). Très tôt, l’enfant en jouant aux explorateurs avec son cousin, découvre dans la cave de la maison de ses grands-parents paternels toutes les perversions humaines à travers la collection de revues et d’objets pornographiques, zoophiles et sadomasochistes de son grand-père. Cette découverte fascine l'enfant et le plonge en même temps dans un monde de terreur. Il apprend également que son grand-père, plusieurs années auparavant, ayant été transporté à l’hôpital à la suite d’un accident de la route, avait été découvert par les infirmiers portant des vêtements féminins sous ses habits d’homme.
Afin de recevoir une éducation de qualité, Brian est inscrit dans un collège privé. Il y découvre, à travers les cours de catéchisme, le fanatisme religieux, les opinions rétrogrades et l’hypocrisie d’une Amérique puritaine et conservatrice. Brian se réfugie alors dans la rébellion et la provocation et fait tout pour se faire renvoyer. Il devient un enfant isolé, introverti et complexé, notamment par son extrême maigreur. Se sentant rejeté, il se met à écouter les groupes de Metal, considérés comme des suppôts de Satan, et affiche avec ostentation leurs insignes afin de choquer ses professeurs et ses camarades. A la suite de ses années de collège, Brian choisit de réintégrer un lycée public. Il rejoint le groupe de rock du lycée,  a sa première relation sexuelle et fume son premier joint. Cette période de sa vie de lycéen nous est relatée par Marilyn Manson avec beaucoup d'humour et de truculence et on rit vraiment. C'est également à cette période qu'il commence sérieusement à écrire de la poésie et des textes gothiques et songe à se faire publier. Il les envoie un jour à une revue spécialisée dans le Metal mais reçoit un refus poli de celle-ci qui en profite dans le même temps pour lui refourguer une offre d'abonnement au magazine à un tarif soi-disant exceptionnel. C'est durant ses études supérieures, en théâtre et en journalisme, et en travaillant comme journaliste pour gagner sa vie que Brian découvre le monde du show-business et décide de monter son groupe de Metal. Il se transforme alors en Marilyn Manson, combinaison de noms de deux personnages (Marilyn Monroe et Charles Manson) sensés évoquer pour lui les deux facettes de l'Amérique : glamour et trash.
Par delà, les difficultés d’un enfant introverti puis d'un adulte frustré, ce qui est frappant de constater c’est l’ambition qui anime Marilyn Manson de devenir célèbre et reconnu. Lorsqu'il se trouve face à des personnes risquant de compromettre sa carrière artistique, il n'hésite pas à échafauder des plans de meurtres pour se débarrasser d'elles. De plus, nous le voyons manifester énormément de mépris envers les junkies et les consommateurs de drogues dures alors que lui-même donnera toujours de Marilyn Manson, l'image d'un groupe de défoncés. Et, on peut se poser alors des questions sur la sincérité de toute la démarche artistique de Marilyn Manson. N'a t-elle pas été adoptée dans le seul but de se rendre célèbre, de faire parler de lui, de créer du buzz autour du groupe ? Personnellement, de nombreuses attitudes et considérations artistiques de Marilyn Manson me sont apparues contradictoires et souvent vaseuses. Comme cette opération de grande envergure consistant à dérober dans les crèches de Noël toutes les statuettes basanées des Rois Mages afin de dénoncer le racisme d'une Amérique blanche ! La manœuvre passa totalement inaperçue et contrairement aux attentes de Marilyn Manson aucun journal ne s’en fit l’écho.
J’ai lu plusieurs mises en garde de lecteurs concernant les aspects durs, choquants, obscènes et sordides qu'on pourra lire dans le livre. Personnellement, je n’ai rien trouvé de plus que le lot habituel de détails scabreux que l’on trouve dans toutes les autobiographies de rock-stars. Il suffit de lire celles d’Iggy Pop ou d'Anthony Kiedis pour voir qu’il n’y a rien de nouveau dans tout ce qui est relaté par Marilyn Manson dans la débauche, les excès et les frasques des rock-stars ou de leurs fans.
Enfin, Marilyn Manson nous laisse entendre par le titre de son autobiographie que son parcours de vie est un long et pénible cheminement vers la sortie à travers les méandres de l'enfer de la drogue. Si effectivement dans les dernières pages du livre, Marilyn Manson nous déclare s'être libéré de l'addiction aux drogues, le journal de bord de la tounée "Antichrist Superstar" qui clôture le livre nous montre un Marilyn Manson plongeant à nouveau la tête la première dans l'enfer de la drogue. Cette contradiction a de quoi nous laisser perplexes.
Sous ses allures intellectuelles et artistiques, l'autobiographie de Marilyn Manson ne m'a pas séduit et intéressé autant que "Scar Tissue" d'Anthony Kiedis. L'autobiographie de Marilyn Manson manque de quelque chose de convaincant, peut-être tout simplement d'une certaine cohérence entre les propos et l'exposition des faits. Je suis en outre resté sceptique quant à l'honnêteté et à la sincérité de toute la démarche non seulement artistique mais également personnelle de Marilyn Manson.

samedi 25 décembre 2010

Barjavel : Hasard ? Mon oeil



"Les rationalistes-matérialistes ont beau jeu de dénoncer la puérilité, la supercherie des dogmes religieux, histoires d'apparence infantile, dont la signification secrète a été totalement oubliée. Mais leur explication du monde est encore plus invraisemblable : d'après eux, toutes les merveilles dont nous sommes faits et celles parmi lesquelles nous vivons sont le résultat d'une succession de mutations heureuses dues au hasard, les mutations défavorables éyant été éliminées...
Examinons, en partant de ce point de vue, un de nos organes les plus simples dans sa structure et son fonctionnement : l'oeil...
C'est une chambre noire, comme l'intérieur d'un appareil photo. Le hasard l'a fabriquée. Bien. On se demande où en serait la triomphante industrie japonaise de la photographie si ses ingénieurs avaient travaillé au hasard...
Passons. Pour reconstituer le relief il faut deux images légèrement décalées. Le hasard nous a donc dotés de deux chambres noires placées à proximité l'une de l'autre. Nous pouvons supposer que des mutations malheureuses qui nous avaient placé un oeil dans le dos et un autre sur le ventre ont été éliminées. C'est logique...
Une bienheureuse multiplicité de hasards a également abouti à donner ces deux yeux-relief à beaucoup d'espèces animales. [...]
Pour que la chambre noire de l'oeil puisse "voir", il lui faut une ouverture. Le hasard, par bonheur, l'a percée. C'est la pupille. Un mécanisme est nécessaire pour agrandir l'ouverture quand la lumière ambiante est faible, et la rétrécir quand elle est violente. En photo, cela se nomme le diaphragme. Le hasard nous l'a fabriqué : c'est l'iris, auquel il a donné une couleur, bleue ou noisette, suffisamment opaque pour empêcher la lumière d'entrer autrement que par le trou, et qui par-dessus le marché, gratuitement, personnalise le regard. Merci, hasard...
Je ne sais pas, et j'ignore si les biologistes savent, quelle est la partie de l'oeil qui mesure la quantité de lumière et ordonne à l'iris de contracter ou de dilater la pupille, mais le hasard sans y penser nous a dotés de ce détail sensible.
Donc, la lumière entre. Pour faire de ce flot une image nette, il faut une lentille. Le généreux hasard nous en a fourni deux. Une fixe, devant la pupille, la cornée, une autre variable, derrière la pupille, le cristallin, chargé de faire la mise au point. Le faisceau lumineux, discipliné par la traversée de ce dispositif, va s'épanouir au fond de la chambre noire sur une surface sensible, la rétine, que le hasard a heureusement confectionnée en ce lieu, et il y forme une image. La multitudes de cellules, les cônes et les bâtonnets, dont le hasard a constitué la rétine, ces cellules parfaites, assemblées par hasard, analysent chaque point de l'image, sa brillance, sa couleur, et envoient toutes ensemble leurs informations au cerveau par le chemin du nerf optique, qui par hasard se trouve là. Et grâce aux facultés du cerveau que le hasard a faites extrêmement diverses, nous prenon conscience des formes et couleur du monde extérieur...
Précisons que, obéissant aux lois de l'optique, la lumière a peint sur la rétine une image à l'envers. Par hasard, le cerveau la redresse et remet le monde sur ses pieds...
Cette analyse de l'oeil est succinte et incomplète. Il ne faut pas oublier le corps aqueux transparent dont le hasard a empli la chambre noire, ce qui l'empêche de se déformer, la sclérotique dont il l'a enveloppée et qui la protège, les muscles qui lui permettent de viser l'image extérieure, les glandes lacrymales qui la lubréfient, les paupières qui nous permettent à tout instant d'interdire à la lumière le chemin de notre conscience et de trouver, quand nous le pouvons, le sommeil. Et chacune de ces parties est composée de parties plus petites, elles-mêmes composées de parties, etc., jusqu'à la foule infinie, variée et disciplinée des cellules, chacune sachant ce qu'elle doit faire et le faisant à l'instant. Cela, bien entendu, par hasard...[...]
Croire que ces merveilles si précises, et tous les autres détails du monde, si extraordinairement élaborés, sont le résultat d'une accumulation de hasards, me paraît tenir d'une certaine obturation de l'esprit..."

René Barjavel, Demain le paradis, Denoël, pp. 100-2

vendredi 24 décembre 2010

Barjavel : "Le hasard ne construit pas"

 


"Pour justifier leur raisonnement, les rationalistes obstinés disent que le facteur qui rend possibles les créations du hasard est le temps. Quand on a beaucoup de temps, il suffit de recommencer n'importe comment, sans cesse, pendant des milliards d'années, et on finit par faire ce qu'il faut.
Mais qui recommence ?
On connaît leur célèbre image : placez un singe devant une machine à écrire. S'il tape au hasard pendant l'éternité, il finira par écrire la Bible...
C'est confondre la qualité avec la quantité, pendant l'éternité, le singe produira un grafouillis illisible. Il ne composera même pas "La cigale et la fourmi".
Le hasard n'ordonne pas, ne compose pas, ne construit pas. Placez un bulldozer devant une montagne de briques qu'il se met à remuer au hasard. Pendant l'éternité il brassera des briques. Il ne construira jamais un palais, pas même une cabane. Or le moindre brin d'herbe est bien plus complique que le Palais de Versailles.
Ce que le bulldozer réussira à faire, c'est transformer la montagne de brique en montagne de poussière, c'est à dire le désordre en un désordre plus grand encore.
Les rationalistes n'ont d'ailleurs pas remarqué qu'ils ont introduit dans leur exemple un élément qui n'a rien de hasardeux : le singe. Ce n'est pas le hasard, qui tape. C'est le singe, qui tape au hasard. Alors qui est le singe ?"

René Barjavel, Demain le paradis, Denoël, p. 112

jeudi 23 décembre 2010

Barjavel : Inévitable



"Quand ce livre paraîtra, j'aurai entamé ma soixante-seizième année. Cela me paraît bizarre. Je ne m'y attendais pas si tôt ! J'y suis arrivé tout doucement, à pied, sans courir. Rien à faire, on y arrive, ça arrive, au jour précis.
Qu'il ne me reste à vivre qu'un petit paquet d'années, ne m'effraie ni ne m'inquiète. Ce qui est ennuyeux, c'est d'entrer vivant, peu à peu, dans la désagrégation. On entend plus mal, on voit moins bien, on a un genou qui se dévisse, on perd les cheveux de son crâne alors qu'il en pousse dans les oreilles, on a mal au dos le jour, des crampes la nuit, on a des fuites ou le contraire, la mémoire devient une passoire dont les trous s'agrandissent ; l'intelligence s'affine mais on n'a plus envie d'en faire usage, on se courbe, on se ratatine, on se déshydrate, on se couvre de son, on devient une momie de soi-même...
J'ai commencé ce processus, qui n'épargne personne. Il faut l'accepter - comment faire autrement ? - et s'y engager avec humour. Se regarder de l'extérieur, avec le sourire. Tiens, aujourd'hui, c'est une veine qui a craqué... Demain ce sera peut-être une artère ?... C'est à voir ! A chaque jour sa surprise... Se considérer comme assis au volant d'une voiture qu'on aime bien, qu'on a entretenue de son mieux mais qui est usée de tous les bouts. Une roue tremblote, puis une autre, le carburateur s'engorge, l'accélateur mollit, la direction n'est plus fiable, on s'en est aperçu en grimpant involontairement sur un talus... Au prochain virage il faudra faire attention aux freins, l'échappement tousse... On va essayer de la faire durer encore, cette vieille amie, on remplacera ce qu'on pourra, on ménagera le reste, mais chaque  kilomètre la rapproche du jour où il faudra se résoudre à la laisser aller à la casse. Inévitable...
Le conducteur, lui, alors que devient-il ?
C'est un autre problème..."

René Barjavel, Demain le paradis, Denoël, p. 213

mercredi 22 décembre 2010

Barjavel : Demain le paradis


4e de couverture :

DEMAIN LE PARADIS : Titre prémonitoire... Voici un des plus beaux livres de Barjavel. En tout cas, celui qui va le plus loin et se lit comme un passionnant roman d'aventures.
D'où vient l'homme ? Et jusqu'où peut-il aller ?
Jamais l'espèce humaine ne s'est trouvée devant un choix à faire aussi net, devant d'aussi formidables possibilités d'essor ou de destruction. Le carrefour est déjà visible. Plus que quelques pas...
Les sciences et les techniques que nous croyons très avancées sont encore, en réalité, sur la ligne de départ de leurs possibilités, tout au début de leur développement. Barjavel survole d'abord les principales disciplines scientifiques pour montrer qu'elles ignorent l'essentiel. La biologie, par exemple, sait tout, dans le moindre détail, de la vie d'un chêne ou d'un être humain, mais elle ignore ce qu'est la vie. La médecine guérit la plupart des maladies, mais elle ne sait pas empêcher les hommes de tomber malades. Les dentistes soignent efficacement les dents, mais ils ne savent pas les faire repousser...

En s'appuyant uniquement sur les découvertes scientifiques de nos temps, Barjavel avec la logique la plus rigoureuse et l'imagination la plus fantastique, développe à l'infini les possibilités qui nous permettraient d'accéder à un avenir de bonheur.

Avis personnel :

Autre essai de Barjavel, dans la même veine que La faim du tigre mais orienté beaucoup plus vers le devenir humain et les questions soulevées par l’évolution des techniques et du progrès scientifique. L’auteur prêche pour une utilisation sage et raisonnée de la science et se plaît à imaginer des solutions écologiques originales face aux problèmes de pollution posés par les hydrocarbures.
On constatera en lisant ce livre que l’animosité de Barjavel envers les représentants officiels des religions est restée la même. Il les fustige toujours autant et plaide à nouveau pour une lecture symbolique des Écritures par delà une lecture littérale et puérile de leur contenu.
Barjavel revient à nouveau sur l’émerveillement qu’il éprouve face aux éléments naturels qu’il considère tous comme des prodiges qui indiquent clairement la main d’un Créateur tant ils renferment d’harmonie, de précision et d’ordre en eux. Face à tant de merveilles dans la création, Barjavel se demande même si l’on peut ne pas croire en l’existence d’un Être suprême.
Le livre est resté inachevé, Barjavel ayant été emporté par la mort. C’est sur une virgule que le livre se termine. Il nous appartient de poursuivre l’écriture de ce livre en imaginant et en construisant, pour notre salut à tous, ce monde profondément humain, juste et heureux dont Barjavel rêvait pour nos petits-enfants.

jeudi 16 décembre 2010

Barjavel : La faim du tigre


Avis personnel :

Magnifique petit essai de Barjavel sur le sens de la vie,  la place de l’homme dans l’Univers et sa relation avec le Divin.
L’ouvrage est écrit dans un style simple, clair et concis. A aucun moment, Barjavel ne part dans des envolées métaphysiques ou n'utilise un vocabulaire abstrus ou philosophique. C’est un ouvrage sans prétention, écrit sur un ton confidentiel et direct, Barjavel interpellant fréquemment le lecteur et s’adressant directement à lui. L’auteur se pose une série de questions existentielles et nous propose modestement son point de vue et tente d'apporter des réponses. Le livre aborde quantité de thèmes (religion, spiritualité, écologie, science,…) mais quelques sujets principaux se dégagent parmi les autres.
Tout d’abord, la religion. Même si Barjavel lance des attaques virulentes contre les représentants des religions et les accuse d’avoir perdu la signification essentielle des textes révélés et leur reproche de maintenir les hommes dans l’ignorance en proposant une interprétation puérile et sociale des religions, il se déclare néanmoins croyant et nous propose une approche de la religion basée sur le sens spirituel et symbolique des Ecritures. Pour preuve, cette étonnante exégèse digne d’un mystique chrétien, d’un soufi ou d’un chiite à laquelle l'auteur se livre concernant le passage biblique évoquant Moïse revenant vers son peuple avec les deux tablettes de la Loi qu’il vient de recevoir de Dieu sur la montagne. Pour Barjavel, ces deux tablettes représentent les deux aspects de la foi, l’exotérique et l’ésotérique, le premier destiné au peuple et le second réservé aux seuls initiés.
Il ne fait pas de doute pour Barjavel qu’un Etre suprême, qu’il hésite à appeler Dieu tant ce mot est devenu chargé de clichés puérils, gouverne le monde et est à l’origine de sa création. L’extrême organisation et harmonie qui existent dans la nature ne peuvent être le fruit du hasard. Si un singe tapait pendant l’éternité sur le clavier d'une machine à écrire, jamais pour autant on n’obtiendrait l’intégralité de la Bible ou ne serait -ce que le texte de La Cigale et de la fourmi. Pour corroborer ses propos, Barjavel nous décrit minutieusement l’oreille de l’homme. L’extrême ingéniosité de sa constitution physique et l’agencement  particulièrement adroit des différents éléments qui la composent sont des témoignages évidents que quelqu’un les a conçus et organisés de la sorte. Il n'y a aucun doute, nous dit Barjavel, qu’« il y a quelqu’un sous le lit ou dans le placard ».
Tout le livre est traversé par une quête de sens. Il s’agit pour l’homme d’essayer de se comprendre, de réfléchir sur la place qu'il occupe dans la Création et des liens qui l'unissent au Divin. Les textes sacrés contiennent en eux, sous la carapace du sens exotérique et des images, des significations ésotériques propres à mettre l’homme sur le chemin de la Vérité. Il s’agit de retrouver la clef d’entrée pour accéder aux mystères contenues dans la Révélation. L'Église ne peut pas nous mettre sur la voie car  elle a perdu cette clef.  Mais celle-ci peut être retrouvée en se tournant vers les initiés qui l’ont conservée par devers eux et qui par leur enseignement secret peuvent nous ouvrir les portes du Mystère.
La faim du tigre est marqué par l’enseignement ésotérique de Guénon et de Gurdjieff. Dans une interview accordée en 1973 à la revue Hamsa, Barjavel avait déclaré : « Je dois dire que Guénon a eu une très grande importance dans ma formation. Guénon... et Gurdjieff aussi, bien qu'ils aient été opposés (je crois qu'ils regardaient la même chose, mais de deux côtés différents). En tous cas, il est certain que là est le grand problème : essayer de retrouver la Tradition, essayer de retrouver la vérité. Mon petit bouquin « La Faim du Tigre », c'est ça ! C'est l'histoire de ma recherche." Dans une autre intervieuw, il avait déclaré toujours à propos du même livre : "Je donnerais tous mes autres livres pour celui-ci." Moi-aussi.

mardi 14 décembre 2010

Barjavel : Les Religions ont perdu la Signification

Marc Chagall, Moïse et les Tables de la Loi. Pour Barjavel, les deux tablettes représentent les deux faces de la Religion : l'exotérique pour le peuple et l'ésotérique pour les initiés

"La justification initiale des "deux tables" [de la Loi], de la séparation entre la transmission ésotérique de la Vérité et la révélation publique d'une religion qui calque sur elle son argument, c'est que la Vérité est difficile et sévère et qu'il faut l'habiller d'une imagerie pour la rendre attrayante et plus accessible au grand nombre.
Mais peu à peu la Vérité se ratatine et se réduit à rien  à l'intérieur de l'imagerie qui finit par n'être plus qu'un habit vide.
Et quand les esprits les plus simples, pour qui, expressément, cette imagerie a été fabriquée, s'aperçoivent de son artifice et ne peuvent plus la prendre au sérieux, alors elle joue un rôle contraire à celui pour lequel elle a été conçue : au lieu d'attirer le plus grand nombre elle le repousse.
Et faute de pouvoir lui redonner toute sa signification, il faut se résigner à voir les hommes la détester et la combattre comme un leurre social et rechercher dans les réalités sensibles et rationnelles les vérités, sinon la vérité du monde. La moitié de l'humanité a déjà opéré ce demi-tour. Pour les neuf dixièmes de l'autre moitié, la religion reste un mélange d'habitudes mentales, de règles morales, d'obligations et d'interdits sociaux, et de vague assurance sur la mort.
Il reste un dixième de la moitié, qui croit sans se poser le moindre problème à ce qu'on lui affirme en telle ou telle partie du monde.
Mais l'humanité tout entière croit que deux et deux font quatre, parce que c'est évident. Il faut retrouver la voie, le chemin, le moyen, l'enseignement, la méthode qui rendra aux hommes l'évidence de Dieu aussi évidente que cette évidence-là.
Il ne s'agit pas de fonder des ou une religion nouvelle, mais de s'accrocher au contraire très fidèlement à celles qui existent et de les pénétrer jusqu'au plus ancien et au plus intime de leur structure pour tâcher d'y retrouver la vérité qu'elles y ont oubliée."

René Barjavel, La faim du tigre, Folio, 1982, p. 196

dimanche 12 décembre 2010

Barjavel : "Soleil, je t'aime"

A partir des années 70, Barjavel dessine un petit soleil sur tous les livres qu'il dédicace

"Petit, tout petit, cher petit Soleil, si modéré, si bienveillant, qui a permis l'éclosion de la vie sur la Terre et l'entretient dans la tiédeur, Soleil je t'aime, je dessine ton image sur tous les livres que je dédicace, on me demande parfois pourquoi, je réponds que c'est en signe de gratitude. Pensez-vous quelquefois, silencieusement, à le remercier ? Nous sommes ses enfants, à son échelle, minuscules."

René Barjavel, Demain le Paradis, Denoël, p. 40

lundi 6 décembre 2010

Barjavel : Tout n'est que symboles

Van Gogh, Le semeur

"Les dieux des religions sont des images symboliques de la Vérité.
Les livres sacrés nous disent avec beaucoup de détails, et cent fois plutôt qu'une, ce qu'est le Créateur, comment il a créé, quels sont ses rapports avec sa création, ses raisons de créer, ce que sont pour lui ses créatures et quelle est la place de chacune au sein du tout.
Mais cela nous est raconté dans un langage symbolique et la plus grande erreur qu'on puisse faire est de s'en tenir à la lettre.
Quant à la signification des symboles, elle a ceci de particulier qu'elle paraît évidente quand on la connaît., mais qu'elle est très difficile sinon impossible à deviner quand on en ignore tout.
Chaque symbole, d'autre part, peut être interprété de nombreuses façons, et chacune de ces significations est parfaitement vraie, du point de vue d'où l'on s'est placé pour la lire dans l'image.
Parmi toutes les significations d'un symbole il en est une dont découlent toutes les autres, et qui rend lisibles les symboles voisins.
C'est l'ensemble de ces significations premières qu'il faut connaître pour lire "à livre ouvert" les textes sacrés. Sans elle, ils nous restent fermés.
Cela ne signifie pas que les faits qu'ils nous racontent soient des fables. Tout événement historique, toute vie, tout geste, tout chemin, tout brin d'herbe, tout caillou, par sa forme et par sa place dans le temps et dans l'espace, signifie quelque chose de plus que ce qu'il est, et peut être lu.
Mais pour savoir lire, il faut avoir appris.
Qui sont les maîtres de cet enseignement ?
Les prêtres.
Les prêtres sont là pour ça.
Les prêtres ont reçu la clé de l'alphabet et la mission de la transmettre.
Malheureusement, ils l'ont perdue en chemin.
Une religion est comme un enfant que son père a envoyé porter un message à l'autre bout de la ville. Pour ne pas l'oublier, pour ne pas se tromper, l'enfant a appris le message par coeur et l'a répété mille fois en chemin. Peu à peu le message a pris le rythme de sa respiration, de ses pas, a perdu ses points, ses virgules, ses mots, et quand il est enfin délivré à son destinataire par la bouche qui l'a moulu tout le long de la route, il n'est plus qu'une suite de syllabes sans articulation ni signification.
Tout y est pourtant. Il suffit peut-être de bien écouter pour retrouver les mots et la phrase. Ce n'est peut-être pas impossible."

René Barjavel, La faim du tigre, Folio, 1982, pp. 139-140

Barjavel : "Tous ont Dieu perdu"


La Parabole des Aveugles, Bruegel l'Ancien, XVIe siècle, Musée du Louvre

"Vieilles religions vidées de tout, pareilles à des figues de l'autre saison pendant flétries à l'arbre d'hiver... Curés courants, évêques gras, pasteurs familias s'arrachant à la conscience des touffes de bonnes paroles pour y nicher leurs brebis, rabbins rabbinant, bonzes rasés jusqu'à l'intérieur du cerveau, tous ont Dieu perdu, en chemin perdu, depuis le temps qu'ils courent. Ils ont gardé un nom, et peint des images. Images de leur image, nom couvert de mouches. Dieu. Quel autre nom Lui donner ?"

René Barjavel, La faim du tigre, Folio, 1982, p. 86

samedi 4 décembre 2010

Barjavel : Comprendre, comprendre, comprendre


"Il existe peut-être un autre moyen de savoir. C'est de renoncer à connaître, et de chercher à comprendre.
"Mon pauvre enfant", me dit un jour un vénérable vieillard curé ému par mon angoisse et qui avait lui-même trouvé depuis longtemps la paix dans les automatismes d'une foi enfantine, "mon pauvre enfant, ce sont des mystères, ne cherchez pas à comprendre..."
Si. Justement si. Je n'y parviendra peut-être jamais, mais jusqu'à mon dernier souffle, je chercherai à comprendre. Comprendre où je suis et ce que je suis et ce que j'y fais, et à quoi ça rime. Ce corps qui s'est construit sans moi, et qui vit sans mon intervention, cet esprit qu'il enferme dans un scaphandre qu'ont-ils à faire ensemble, vers quelle vase ou quel trésor s'enfoncent-ils dans l'océan de la matiére ? Cette chair souffrante et jouissante qui me commande, et qui est faite de vide et qui saigne, qui a reçu du fond des âges une vie qui la laissera tomber et pourrir, cet esprit qui aura à peine le temps de naïtre avant de s'évanouir, je veux comprendre, comprendre, comprendre, pourquoi ils sont associés, si mal assortis, et s'ils ont un rôle à jouer, une place à tenir, exactement, quelque part entre la salade et la galaxie.
Le rôle de toute religion est de faire comprendre à l'homme ce qu'est la création, quelle place il y occupe et quel rôle il y joue. Et jamais, jamais, jamais, de lui dire : "Ne cherchez pas à comprendre."
Le rôle de toute religion est d'établir entre l'homme et le reste du monde des rapports exacts. Et jamais, jamais, jamais, de dresser entre le monde et l'homme des remparts de fumée et des murs d'illusions.
Le rôle du prêtre est de prendre le fidèle par la main et de le conduire, par le chemin du rite, vers la vérité.
L'initiation à tous les mystères, la clé qu'on donnait au néophyte, c'était l'explication qui lui permettait de comprendre. La sublime clarté dont parlent les mystiques, c'est celle de la compréhension. Tout leur est clair. Mais ne peuvent donner la clé ceux qui l'ont perdue, ne peuvent montrer le chemin ceux qui ne savent plus que le chemin existe. Ne peuven rien expliquer ceux qui ne savent plus rien."

René Barjavel, La faim du tigre, Folio, 1982, pp. 84-5

mercredi 1 décembre 2010

Barjavel : L'humanité dans un dé à coudre



"Un corps vivant ou un corps inerte, un caillou, un clou ou un genou, un pou, sont pareillement constitués de molécules, les molécules sont constituées d'atomes, et les atomes de particules dont certaines assemblées forment le noyau, les autres tourbillonnant autour.
Mais ce noyau est si petit, et les particules qui vibrionnent à ses alentours encore tellement plus infimes, qu'on peut considérer qu'un atome est presque entièrement constitué de vide. De vide. Non pas d'espace empli par un fluide transparent, léger insaisissable. De vide. De néant. Zéro absolu. Rien.
On a calculé que si on réunissait tous les êtres humains vivant sur la Terre, et si on parvenait à supprimer le vide de leurs atomes, toutes les particules qui composent l'espèce humaine tiendraient dans un dé à coudre.
Un dé à coudre de particules, et du néant, pour construire trois milliards d'hommes, quel que soit le maçon, il sait tirer parti des briques !
Mais ces briques elles-mêmes, ces particules, ce matériau de base de la matière, sont-elles vraiment bien solides ? Sont-elles enfin quelque chose ? Ma main, mon cœur, le bois de mon bureau, l'épaule de mon fils, peut-on s'appuyer ?
Prudence. Ces particules, ceux qui les connaissent le mieux en sont à se demander si elles ne sont pas seulement des parcelles d'énergie en mouvement. Et si elles ne se divisent pas à leur tour, en particules infiniment plus petites, séparées par du vide, lesquelles particules infiniment plus petites n'ont pas de raison de ne pas être à leur tour composées d'énormément de vide, et de particules qui, si petites soient-elles, peuvent à leur tour ne contenir à peu près que du vide et d'autres particules encore plus petites, plus petites, petites, petites...[...]
Vanité des vanités, dit l'inconnu de l'Ecclésiaste, tout n'est que vanité. Il a peut-être commencé à le dire en sumérien. Peut-être bien avant Babel le disait-il déjà. Puis en  araméen, en hébreu, en grec et en latin :
Vanitas...
Dérivé de vanus, qui signifie : VIDE.
La science a son tour vient de le découvrir."

René Barjavel, La faim du tigre, Folio, 1968, pp. 68-9