Sindbad PUZZLE

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mercredi 27 février 2013

Washington Irving : L'Alhambra au clair de lune



J'ai donné une image de mon appartement tel qu'il était lorsque j'en pris d'abord possession ; il a suffi de quelques soirs pour modifier complètement le tableau de mes impressions. La lune, qui était alors invisible, a gagné peu à peu sur la nuit. La voici qui roule de toute sa splendeur au-dessus des tours, inondant de sa tendre clarté les salles et les cours. Sous ma fenêtre, le jardin est doucement illuminé ; les orangers et les citronniers sont pailletés d'argent ; et la fontaine étincelle dans le clair de lune où l'on perçoit même la rougeur de la rose.
J'ai passé des heures à ma fenêtre à respirer l'air embaumé du jardin et à rêver aux fortunes diverses de ceux dont ces élégants vestiges rappellent l'histoire. Parfois à minuit, lorsque tout repose, je descends errer à travers le palais. Qui pourrait dire la beauté d'un clair de lune sous ce climat et dans un tel lieu ? La température d'un minuit d'été andalou est purement céleste. On se sent comme transporté dans une atmosphère supérieure ; on éprouve une sérénité d'âme, une légèreté d'esprit, un bien-être physique qui font du seul fait de vivre un délice. L'effet du clair de lune sur l'Alhambra a également quelque chose de magique : les fentes et les crevasses, les moindres taches de rouille disparaissent alors ; le marbre reprend sa blancheur primitive ; les longues colonnades paraissent s'éclaircir ; les salles s'illuminent d'un rayonnement diaphane... On se croirait dans un palais enchanté des Mille et une Nuits.
J'aimais alors monter au petit pavillon qu'on appelle le Boudoir de la Reine pour jouir de la vue étendue et diverse qu'on y a. A droite, les cimes neigeuse de la Sierra Nevada brillaient comme des nuages d'argent dans le firmament foncé ; les contours de la montagne se dessinaient en lignes pures, bien qu'adoucies. Mais mon plus grand plaisir était de m'accouder au parapet du tocador et de contempler Grenade étendue à mes pieds comme un plan, ensevelie dans un profond repos avec ses palais et ses couvents endormis, pour ainsi dire, au clair de lune.
Parfois j'entendais les faibles roulades d'une castagnette : c'était un groupe de danseurs qui s'attardait dans l'Alameda ; parfois encore c'étaient les notes hésitantes d'une guitare ; puis, une voix nue s'élevait d'une rue solitaire: je me représentais quelque jeune cavalier faisant une sérénade à la fenêtre d'une belle, coutume charmante d'autrefois, qui est en train de se perdre malheureusement, sauf dans les petites villes et les villages écartés d'Espagne. Telles étaient les scènes qui me retenaient des heures durant, au cours de mes promenades parmi les patios et les balcons du château, où j'éprouvais un mélange délicieux de rêverie et d'impressions qui, dans le sud, supprime la sensation du temps. Il faisait presque jour lorsque je regagnais mon lit où je m'endormais au son berceur du jet d'eau de Lindaraja.

Source : Washington Irving, Contes de l'Alhambra, Editions Miguel Sanchez

Alhambra, vers 1890

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